Archives pour la catégorie Groupes d’intérêt public

Comment les groupes d’intérêt étatsuniens influencent-ils l’ordre du jour politique?

Dès le début du XIXe siècle, on note l’apparition de deux types de groupes d’intérêt distincts. D’un côté, les groupes d’intérêt public, comme le mouvement contre l’esclavage, et de l’autre, les groupes d’intérêt privé défendant les intérêts des industries ferroviaire et pétrolière. Les objectifs les plus couramment poursuivis par ces groupes sont (1) informer et sensibiliser les élus, (2) informer le public, (3) recruter des membres, (4) faire des levées de fonds.1

Ces groupes se sont multipliés et leurs activités pour tenter d’influencer les élus se sont accrues tout au long du XXe siècle. Philip Hart, sénateur du Michigan, relatait que lors de son entrée en fonction en 1958, il recevait environ 2 000 lettres par mois concernant des enjeux sociaux. Vers la fin de sa carrière, en 1975, il en recevait plus de 10 000. En 1995, son successeur, Carl Levin, recevait plus de 20 000 lettres, 5 000 télégrammes, 10 000 appels téléphoniques et 1 000 fax par mois2.

tactiquegroupestrategies_usa
Cet extrait est tiré d’un travail sur les groupes
d’intérêt américains et leurs tactiques. PDF

Cet accroissement des communications en provenance des citoyens n’est ni particulier au Michigan, ni particulier au Sénat. Comme le montre le Tableau 2, la Chambre des représentants a vu le nombre de courriers de citoyens tripler durant la même période. On peut toutefois se demander si vraiment plus de citoyens contactent leurs représentants ou si ce sont les mêmes citoyens qui le font plus souvent! Les recherches d’un groupe mené par Sidney Verba de Harvard sont éloquentes à ce sujet. On y découvre que le nombre de citoyens ayant contacté un élu au niveau national au sujet d’un enjeu social a doublé, passant de 11% (1967) à 22% (1987).3

En analysant l’ordre du jour politique américain et les projets de loi discutés, Jeffrey Berry4 illustre l’importance grandissante des enjeux sociaux sur les enjeux matériels. En 1963, les enjeux sociaux mobilisaient seulement 31,9 % de l’ordre du jour du Congrès contre 45,5 % en 1991. Selon lui, cette augmentation ne peut être uniquement attribuée à l’évolution de la société ou de l’opinion publique. Il l’exprime ainsi : « Citizens groups were the primary political force that pushed these quality-of-life concerns on the agenda of Congress.»…«They skilfully built public support through a variety of tactics and were willing to expend a large share of their resources on agenda building5 ».

Kenneth M. Goldstein6 en tentant d’expliquer le nombre croissant de communications citoyennes constate lui aussi l’importance des groupes d’intérêt. Selon lui, les causes sociales seules ne peuvent susciter l’implication citoyenne. Le citoyen doit être mobilisé et recruté par des leaders politiques. Ces leaders, on les retrouve, entre autres, dans les groupes d’intérêt public.

Les chercheurs Rosenstone et Hansen7 abondent dans le même sens. Ils ne croient pas qu’une quelconque politisation accrue de la société américaine puisse être responsable d’une telle augmentation des communications en provenance des citoyens. Au contraire, si c’était le cas, comment expliquer que pendant cette même période on n’ait pas enregistré une hausse similaire dans le taux de participation aux élections? Ils y voient plutôt un changement de stratégie de mobilisation opéré par les élites politiques. Selon eux, ce qu’on appelle la « participation citoyenne » par le biais d’envois de lettres, de fax ou de manifestations fluctue au gré des décisions stratégiques des politiciens, de leurs partis et des groupes d’intérêt.

En résumé, ces recherches tendent à démontrer les tendances suivantes :

  1. Les groupes d’intérêt connaissent une forte progression. En 2010, on en compte plus de 20 0008.
  2. Les citoyens américains sont plus nombreux à communiquer avec leurs élus et le font plus souvent.
  3. Ce sont les leaders politiques, qu’on retrouve entre autres dans les groupes d’intérêt public, qui mobilisent les citoyens pour qu’ils communiquent avec leurs élus.
  4. Les tactiques des groupes d’intérêt public semblent avoir été particulièrement efficaces pour s’attirer le soutien populaire et influencer l’ordre du jour politique du Congrès.

L’importance de l’influence des groupes d’intérêt public sur la rédaction et l’adoption finale des lois reste encore à prouver. Toutefois, il semble que leurs tactiques de communication et de mobilisation citoyennes aient porté fruit pour influencer l’ordre du jour politique.

 

Références:

________________

1 « We the People | 5th Edition. » http://www.wwnorton.com/college/polisci/wtp5e/ch/11/review.htm.

2 Kenneth, M. Goldstein. Interest groups, lobbying, and Participation in America. Boston: Cambridge University Press, 1999. p14

3 Verba, Sidney, Henry E Brady, et Kay Lehman Schlozman. « Beyond Ses: A Resource Model of Political Participation. » The American Political Science Review 89, no. 2 (Juin 1995): 271-294.

4 Berry, Jeffrey. 1999. « The Power of Citizen Groups. » dans The New Liberalism. Washington, DC: Brooking Institution Press.

5 Berry, Jeffrey. « The Power of Citizen Groups. » Dans The New Liberalism. Brooking Institution Press. Washington, DC: Brooking Institution Press, 1999. p85

6 Kenneth, M. Goldstein. Interest groups, lobbying and Participation in America. Boston: Cambridge University Press, 1999.

7 Rosenstone, Steven J., et John Mark Hansen. Mobilization, Participation, and Democracy in America. New Topics in Politics Series. New York: Longman Publishing Group, 1993.

8 Source : Annuaire Google http://directory.google.com/Top/Society/Organizations/Advocacy/

Confrontation et originalité : Qui dérange gagne?

De façon générale, les ressources financières, le talent politique et organisationnel des leaders du groupe, la base de membres et la cohérence de leurs actions ainsi que le « timing » politique constituent les facteurs de base influençant le succès des groupes d’intérêt.1

Plusieurs recherches proposent deux autres facteurs de succès qui peuvent surprendre de prime à bord : l’importance de la confrontation et de l’originalité!

tactiquegroupestrategies_usa
Cet extrait est tiré d’un travail sur les groupes
d’intérêt américains et leurs tactiques. PDF

Bien que les groupes d’intérêt aient tendance à utiliser des tactiques avec lesquelles ils sont familiers2, des études suggèrent que des tactiques originales ou confrontantes soient plus efficaces. Par exemple, Doug McAdam3 démontra que les tactiques des groupes de droits civils tels que des « sit-ins », mais surtout les fameux « Freedom Riders »4furent efficaces parce qu’elles prirent de court les autorités. De son côté, Holly J. McCammon5 identifia les nombreuses marches organisées par les suffragettes – une nouveauté en 1913! – comme un des facteurs déterminants dans leur victoire. On attribue également le succès des employés de soutien en 1991 contre l’Université Columbia à leur utilisation de moyens de pression à la fois originaux et confrontants. Les manifestations de ces employés dans les endroits huppés de Manhattan où l’université sollicitait les dons de ses diplômés eurent un effet important sur le conseil d’administration. Dans son analyse de 53 tactiques utilisées par des groupes d’intérêt américains en 1990, Gamson6 va encore plus loin en remarquant que lorsque ces derniers font usage d’une certaine violence, leur chance de gain est meilleure.

Il faut toutefois être prudent, car d’autres études montrent aussi clairement le recul subit par des mouvements trop enclins à la violence. Cress et Snow7 ont plutôt observé que des tactiques de confrontation pouvaient s’avérer gagnantes lorsqu’une large portion de la population appuyait une cause, mais que le gouvernement y était hostile ou indifférent. Par contre, ces mêmes tactiques s’avéraient plutôt perdantes quand le gouvernement avait déjà entamé le dialogue, car l’opinion publique n’approuvait plus ces tactiques jugées exagérées.

 

Références:
____________

1 « interest group (political science) :: Lobbying strategies and tactics — Britannica Online Encyclopedia. » http://www.britannica.com/EBchecked/topic/290136/interest-group/257771/Lobbying-strategies-and-tactics.

2 Tarrow, Sydney. Power in movement : Social Movements, Collectives actions and Politics. Cambridge University Press. New-York: Cambridge University Press, 1998.

3 McAdam, Doug. « Tactical Innovation and the Pace of Insurgency. » American Sociological Review 48, no. 6 (1983): p. 735-754.

4 Les « Freedoms Riders » étaient des activistes qui voyageaient en autobus dans les états du sud dans le but de mettre à l’épreuve un jugement de la Cour suprême interdisant l’application des lois ségrégationnistes aux voyageurs. Source : http://en.wikipedia.org/wiki/Freedom_Rides

5 McCammon, Holly J. « Stirring Up Suffrage Sentiment: The Emergence of the State Woman Suffrage Movements, 1866-1914.. » Dans Social Forces, pp 449-480, 2001.

6 Gamson, William A. The Strategy of Social Protest. Belmont, CA: Wadsworth Publishing, 1990.

7Cress, Daniel M., et David A. Snow. « The Outcomes of Homeless Mobilization: The Influence of Organization, Disruption, Political Mediation, and Framing. » The American Journal of Sociology 105, no. 4 (2000): pp. 1063-1104.

Internet en 4 erreurs

Parce qu’il leur fait souvent ombrage, qu’il menace leur revenu et parce qu’il permet des usages parfois semblables à ceux des médias de masse, Internet est souvent compris comme un média. Erreur #1.

Parce qu’il permet le transport de la voix comme le fait le téléphone, que le courriel remplace de plus en plus le courrier, que la pièce jointe a pratiquement éliminé l’utilité du fax et que les vidéoconférences se font désormais sur le web, Internet est souvent compris comme un outil de télécommunications. Erreur #2.

Parce qu’il permet d’acheter des livres en ligne et d’y faire son épicerie, que n’importe quel citoyen peut négocier des actions en bourse depuis son salon et que la plupart de nos comptes peuvent être payés en ligne, Internet est souvent compris comme un outil de transactions. Erreur #3.

Parce qu’il permet le partage de nos agendas, que des collaborateurs peuvent participer à la rédaction de rapports à distance, que des scientifiques peuvent partager leurs bases de données et que des amis peuvent planifier une fête sur les réseaux sociaux, Internet est souvent compris comme un outil de télé-collaboration. Erreur #4.

Bien qu’il soit à la fois média, outil de télécommunication, outil transactionnel et de télé-collaboration, Internet ne peut être réduit à l’une de ces définitions. Qu’est-il vraiment alors?

Le réseau qui avait une architecture ouverte

tactiquegroupestrategies_usa
Cet extrait est tiré d’un travail sur les groupes
d’intérêt américains et leurs tactiques. PDF

La découverte de l’électricité mena à celle de l’électromagnétisme et à l’invention du télégraphe. Plus tard, on découvrit qu’il était possible de transformer une source sonore ou lumineuse en ondes radioélectriques analogues. Le transport de ces signaux analogiques par câble ou par ondes hertziennes devint la base de nos moyens de communication électronique. Le téléphone, le CB (Citizen Band), le fax, la radio et la télévision sont issus de ces découvertes.

Les avancées de l’informatique permirent de faire subir une deuxième transformation aux signaux en les convertissant d’une forme analogique à une forme numérique1. C’est au transport de ces données numériques qu’il faut associer Internet et non aux outils qui sont et seront développés par la suite. Internet est au courriel, au web ou à la voix par IP2 ce qu’a été le transport de signaux analogiques pour le téléphone, la radio et la télévision : une nouvelle façon de communiquer entre humains marquant le début d’une série d’innovations.

Si Internet n’était qu’un simple réseau de transport de données numériques, il est peu probable qu’il aurait suscité autant d’attention. En effet, d’autres réseaux transportent des données numériques. C’est le cas de la télévision par câble ou par satellite et aussi de la radio. Bien qu’ils aient apporté quelques nouveautés comme l’enregistrement d’émissions sur terminal numérique plutôt que sur VHS ou le visionnement de films sur demande, ces innovations représentent tout au plus une évolution des systèmes de communication et non une révolution.

La popularité d’Internet qu’on surnomme le réseau des réseaux a deux sources. La première est un préalable qui nous semble évident: la miniaturisation et la baisse des coûts des ordinateurs personnels (PC). En effet, jusqu’à l’arrivée du PC dans les maisons, Internet dormait dans les laboratoires universitaires. Les premiers systèmes de messageries électroniques furent inventés en 1965 et le courriel tel qu’on le connaît avec son « @ » si distinctif fut conçu dès 1972. Le protocole TCP/IP, la base d’Internet, fut quant à lui mis sur pied en 1974. Ce n’est que deux décennies plus tard, lorsque les réseaux universitaires s’interconnectèrent et s’ouvrirent sur des réseaux commerciaux et que le PC bon marché fit son entrée rapide dans les maisons que le potentiel d’Internet fut révélé au grand public3.

C’est donc une condition externe, l’arrivée massive du PC dans les maisons, qui a lancé Internet dans l’arène publique. Son évolution rapide et le niveau d’innovation phénoménale qu’on y retrouve sont toutefois dus à une deuxième variable : son architecture ouverte.

Loin de n’être qu’une simple considération technique, l’architecture ouverte d’Internet présente un intérêt majeur pour les sciences sociales et économiques. Ce réseau repose sur des fondations faisant partie du bien public. Ses protocoles de communication les plus importants, tels que le TCP/IP (base du net), le UDP(transfert de paquets), le HTTP (web), le SMTP (courriel) et le FTP (transfert de fichiers) sont tous libres de droits d’auteur. Très peu de pays imposent des réglementations limitant leur usage ou exigeant une licence d’exploitation comme pour la radio ou la télévision.

Lawrence Lessig, professeur de droit à l’Université Stanford décrit ainsi la singularité de ce nouveau réseau au pays de la propriété privée et du capitalisme:

« …its success grew out of notions that seem far from the modern American ideals of property and the market. Americans are captivated by the idea that the world is best managed « when divided among private owners » and when the market perfectly regulates those divided resources. But the Internet took off precisely because core resources were not « divided among private owners. » Instead, the core resources of the Internet were left in a « commons. » It was this commons that engendered the extraordinary innovation that the Internet has seen. »4

L’impact de cette architecture ouverte pour la société civile et les groupes d’intérêt public est énorme, car elle a permis une panoplie de services gratuits et ouverts. Considérons quelques exemples. Que serait le courriel si son utilisation ne reposait pas sur des protocoles libres de droits? Premièrement, des logiciels de courriel tels qu’Outlook Express, Hotmail, Gmail, Thunderbird ou Mail devraient obtenir et payer des droits d’utilisation pour cette technologie, lesquels seraient ensuite refiler au consommateur. L’envoi de courriels pourrait aussi être facturable, comme ce fut le cas pour le télégraphe et les appels interurbains, et seuls des organismes fortunés pourraient se permettre des envois massifs à des listes de diffusion de plusieurs milliers d’internautes. Fiction? Pas du tout. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à penser à la messagerie SMS (texto) développée pour les réseaux privés des fournisseurs de services cellulaires. Chaque SMS envoyé est soit facturé à la pièce ou dans un forfait. Des groupes d’intérêt moins fortunés pourraient-ils s’offrir un site web s’ils devaient payer des redevances à l’inventeur du « World Wide Web »5? Comment de jeunes étudiants auraient-ils pu développer les Twitter, Yahoo, Google ou Facebook s’il leur avait fallu débourser des milliers pour avoir accès au code source des protocoles sur lesquels repose Internet?

On prend aujourd’hui pour acquis que n’importe quel groupe de citoyens peut avoir accès à une multitude de services gratuits sur Internet pour organiser ses activités, communiquer avec ses membres, s’informer sur divers sujets reliés à sa cause ou organiser une manifestation, mais si Internet avait connu un modèle de développement semblable aux médias de masse, il est fort probable qu’on aurait assisté à une guerre de standards et de format incompatibles entre eux et potentiellement à la victoire d’un monopole ou d’un oligopole formé d’un nombre restreint d’entreprises contrôlant le réseau, le développement des technologies, l’accès au contenu ainsi que sa facturation. Pour protéger l’intérêt public, l’état américain aurait dû réglementer comme il l’a fait pour la radio et la télévision. Des tentatives pour garder des abonnés captifs6 ou utiliser une position de leader pour fermer l’accès à la concurrence7 ont toutefois été tentées, mais jusqu’à maintenant Internet est demeuré un réseau neutre et ouvert.

En 15 ans, Internet est passé d’une curiosité utilisée par des ados boutonneux et des universitaires à un réseau grand public. Selon l’UIT, une institution spécialisée des Nations Unies pour les technologies de l’information et de la communication, le taux de pénétration d’Internet serait de 77,3 % aux É.-U. Les Américains y passent en moyenne 15 heures par semaine. Forrester observe que de 2004 à 2009, le temps passé sur Internet a augmenté de 117 %. Cette augmentation s’est faite au détriment des journaux (-17 %), de la radio (-18 %) et des magazines (-6 %). Le seul média n’ayant pas été touché est la télévision (0 %)8.

 

Références
_____________________

1 Ironiquement, le télégraphe et le code Morse sont considérés comme les premières communications « numériques » du fait qu’ils interprétaient le langage en le codifiant plutôt que par analogie comme les ondes radioélectriques du téléphone.

2 Système téléphonique utilisant Internet. En anglais : VOIP (Voice Over Internet Protocol )

3 « Internet – Wikipedia, the free encyclopedia. » http://en.wikipedia.org/wiki/Internet#History.

4 Lessig, Lawrence. « The Internet Under Siege. » Foreign Policy (Décembre 2001): 56-65.

5 Tim-Berners Lee, l’inventeur du web, rendit son invention gratuite et libre de droits. Le consortium chargé de fixer les standards du web s’assure que toutes les nouvelles technologies introduites soient également libres de droits. http://www.w3.org/Consortium/Patent-Policy-20040205

6 AOL est reconnu pour ses pratiques visant à garder ses utilisateurs captifs de ses services et logiciels,notamment, à la fin des années 90 en utilisant sa position de leader en messagerie instantanée (IM et ICQ) pour empêcher ses utilisateurs de communiquer avec le monde extérieur. « 20 Years of AOL Annoyances and Foul-Ups – PCWorld. » http://www.pcworld.com/article/163935-2/20_years_of_aol_annoyances_and_foulups.html.

7 Netscape et Internet Explorer ont tour à tour utilisé la popularité de leur fureteur pour s’éloigner des standards du web et amené sur le marché des technologies propriétaires incompatibles avec les autres fureteurs.

8 « Google I/O: The Web Is Killing Radio, Newspapers, Magazines, And TV. » http://techcrunch.com/2010/05/19/google-web-growth/.

Du grassroot au netroot ?

Qu’il s’agisse des journaux, de la radio, de la télévision, du courrier ou du fax, les technologies de l’information ont de tout temps été intégrées aux tactiques des groupes d’intérêt. L’émergence de l’activisme politique sur Internet a également entraîné d’importantes innovations au plan des tactiques.

De plus, le monde de la politique semble être fertile en matière de diffusion de l’innovation. D’une part, les campagnes attirent un grand nombre de jeunes scolarisés ayant de larges réseaux sociaux et étant prêts à investir de longues heures pour une cause. Les avancées technologiques rapides dans le domaine des télécommunications créent également un impératif pour ces derniers de se tenir à la fine pointe des nouveaux moyens de mobilisation et de communication. Ajoutons à cela une forte mobilité entre les organisations de mêmes familles idéologiques et on obtient un terrain fertile à l’innovation et au partage de tactiques.1

tactiquegroupestrategies_usa
Cet extrait est tiré d’un travail sur les groupes
d’intérêt américains et leurs tactiques. PDF

L’un des types de tactiques innovantes des dernières années est ce qu’on appelle le « netroot ». Le « netroot » est l’application en ligne de principes du « grassroot », c’est-à-dire une mobilisation de la base militante d’un mouvement. En 1998, lorsque Wes Boyd et sa femme Joan Blakes en eurent assez des attaques républicaines réclamant la tête de Clinton (impeachment), ils fondèrent le site « MoveOn.org ». Ce site, dont la gestion est faite depuis leur domicile en Californie, regroupe aujourd’hui plus de 3 millions d’Américains libéraux. Ces derniers prirent d’abord position en faveur de Clinton, mais ensuite poursuivirent d’autres objectifs comme de faire pression sur les candidats démocrates afin qu’ils prennent position contre la guerre en Irak. À l’aide de ce site, « MoveOn » informe, prend position et suscite la mobilisation de ses membres. Par exemple, il stimule la créativité des membres en organisant des concours de messages politiques vidéo, les diffuse sur le web et recueille des fonds pour les diffuser sur les réseaux de télévision. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les membres de « MoveOn » ne sont pas que des individus dans la vingtaine habitant les châteaux forts libéraux des milieux urbains de la côte est et ouest. Plusieurs de leurs membres sont dans la quarantaine et la cinquantaine et proviennent de la banlieue et de milieux ruraux du Midwest! Avec « MoveOn », ils retrouvent des gens partageant des idées libérales avec qui il est parfois plus facile d’échanger qu’avec les citoyens de leur localité.2

Andrew Chadwick, professeur de politique à l’Université de Londres et co-directeur du « New Political Communication Unit » au département de politique et de relations internationales du Royal Holloway, résume ainsi l’impact que ce groupe a pu avoir dans l’arène politique :

« By the time of the close of the 2006 elections, it was also clear that the netroots movement MoveOn, by campaigning in support of several successful Senate and House candidates, had exerted influence on the Democratic takeover of Congress. Soon after the election, MoveOn’s website displayed a table of statistics for the pivotal districts, including margin of victory, financial contributions, and number of phone calls to voters. It mobilized volunteers to make seven million calls and host 7,500 house parties.»3

Références
__________________________

1 Malbin, Michael J, Clyde Wilcox, Mark J. Rozell, et Richard Skinner. New Interest Group Strategies -A Preview of Post McCain-Feingold Politics? Washington, DC: The Campaign Finance Institute, 2002. p12

2 Welch, Susan, John Gruhl, John Comer, et Susan M. Rigdon. Understanding American Government. Florence, KY: Cengage Learning, 2009. p158

3 Chadwick, Andrew, et Philip N. Howard. Routledge Handbook of Internet Politics. Routledge International Handbooks. New-York, NY: Routledge, 2009. p60

Rave =) FlashMob =) SmartMob

Avant qu’ils ne deviennent des fêtes organisées, profitables, légales et commanditées par des marques de boissons énergisantes, les premiers raves se réclamaient d’un mouvement remettant en question les principes de propriétés privées et l’utilisation des espaces publics. Leur organisation souterraine par distribution de tracts fut rapidement comprise par les autorités qui tentèrent d’y mettre fin. Les moyens utilisés par les organisateurs de raves se raffinant, la police en vint à demander des lois visant à interdire les raves et à rendre passibles de poursuites judiciaires les organisateurs. Ce fut fait dans certains pays comme en G.-B. et aux É.-U..1 Cette loi antirave fut plus tard utilisée pour limiter le droit de protester durant la bataille de Seattle contre la réunion de l’OMC en 1999.2

 

tactiquegroupestrategies_usa
Cet extrait est tiré d’un travail sur les groupes
d’intérêt américains et leurs tactiques. PDF

Les tactiques des « ravers » utilisant de nouveaux moyens de mobilisation underground furent par la suite utilisées par des groupes d’artistes qui les transformèrent en FlashMob : des mobilisations éphémères dans des lieux publics à des fins artistiques ou ludiques.3

Des FlashMob émergèrent les SmartMob, des mobilisations rapides dans un but politique.4 Un SmartMob se coordonne en utilisant des réseaux sociaux et des appareils mobiles. La force du SmartMob réside dans son élément de surprise. Contrairement à des mobilisations de plus grande ampleur, les autorités ne sont pas prévenues et la durée de l’opération permet rarement à ces dernières de réagir. Ce concept de mobilisation novateur fut souligné par le New-Yort Times dans son numéro « Year in Ideas ».5

Exemple d’un SmartMob

Durant l’été 2010, un don de 150,000 $ de l’entreprise de commerce au détail « Target » à un candidat républicain du Minnesota reconnu pour ses positions hostiles aux droits des gais et lesbiennes irrita une partie de la population de cet état.6

Le groupe s’organisa à l’aide du site MoveOn, fit circuler une pétition contre « Target » et organisa un SmartMob dans un de ses magasins. Comme on peut le voir dans le vidéo publié sur Youtube (http://www.youtube.com/watch?v=9FhMMmqzbD8) les manifestants sont entrés à tour de rôle comme de simples clients et se sont mis à se promener individuellement dans les rayons. Au moment choisi, près des caisses enregistreuses, une femme entama une chanson critiquant le financement de « Target ». Dès la fin du premier couplet, une douzaine de « faux clients » se joignirent à elle pendant que la fanfare improvisée faisait son entrée dans le magasin. Le tout dure moins de 5 minutes.

Et après? Une manifestation improvisée de 5 minutes peut-elle vraiment avoir un quelconque impact si aucun journaliste et aucune caméra ne s’y trouvent pour témoigner de l’événement? On a vu plus tôt comment le partage et la sélection de nouvelles sont devenus déterminants dans la consultation des actualités. Dans ce nouveau modèle, l’impact des médias traditionnels est encore important, mais il n’est pas essentiel comme auparavant pour avoir un impact médiatique.

Le vidéo du SmartMob qui compte aujourd’hui plus de 1,3 million de spectateurs reçut suffisamment d’attention pour être mentionné dans quelques journaux en ligne et hors-ligne et obligea l’entreprise à s’expliquer publiquement. Pas mal pour une action de 5 minutes menée par une douzaine de personnes!

1Mitchell, D. 2003. The right to the city. New York, NY: The Guildford Press.

2Mitchell, Don. The Right to the City: Social Justice and the Fight for Public Space. New-York: The Guilford Press, 2003. p93

3Id. p94

4« Social Media Guide for Flash Mobs | Case Foundation. » http://www.casefoundation.org/blog/learn-lingo-f-flash-mobs-mobilizing-your-mob.

5Thompson, Clive. « The Year in Ideas: Smart Mobs. » New York Times, Décembre 15, 2002, New York Times edition.

6Linkins, Jason. « Tom Emmer, Anti-Gay Pol, Gets Donations From Target, Stirring Up Controversy. » Huffington Post, 28 août, 2010. http://www.huffingtonpost.com/2010/07/28/tom-emmer-anti-gay-pol-ge_n_662535.html.